Voilà un sujet ardent, s’il en est !
J’ai tardé à écrire quelque chose sur l’écriture inclusive parce que j’ai été partagée un temps sur la question. J’aime le fait que l’écriture inclusive soit utilisée pour rendre visible une partie de la population longtemps mise de côté et qu’elle soit un moyen de représenter tout le monde.
Les deux choses qui m’ont tiraillée sont les suivantes :
– Les disputes discussions enflammées entre deux parties que je trouve parfois extrêmes :
- d’un côté, les vieux rétrogrades (parfois misogynes non assumés) qui se cachent derrière l’enlaidissement de la langue ainsi que les difficultés des dyslexiques
- et de l’autre, les ayatollahs du féminisme qui veulent imposer une vision parce qu’on en a imposé une aux femmes durant des siècles (je parle ici d’un courant du féminisme et non pas de tout le féminisme).
Étant une personne qui pense qu’il existe de nombreuses nuances dans la vision des choses, j’ai du mal à me retrouver dans un choix manichéen où la réalité doit être ou noire ou blanche.
– Le point médiant auquel malheureusement l’écriture inclusive est réduite par ses détracteurs. J’avais du mal avec lui avant de pousser mes recherches, il me faisait tiquer chaque fois que je le voyais, il me faisait penser à du morse. Je sais j’exagère…
Nous verrons par la suite que l’utilisation du point médian a été assez simplifiée depuis 2019.
Fort heureusement, l’écriture inclusive ne se résume pas au seul point médian (nous le verrons plus loin) ni aux visions politiques ou idéologiques de certaines et certains. L’évolution de la langue, tout d’abord imposée à des fins politiques et idéologiques pourrait finalement se faire sur des bases sociologiques pour que tous puissent se sentir représentés par la langue puisqu’il est dit que « la langue est à tout le monde », laissons alors la décision appartenir à « tout le monde » et non à une poignée « d’intellectuels ».
Un chouia d’histoire
Je dois dire que je suis séduite à l’idée que l’on redonne une place à la femme dans la langue française, je dis bien redonne parce qu’elle a malheureusement été un peu effacée au fil du temps. Cela a commencé avec l’apparition de l’Académie française au XVIIe siècle (même si l’effacement a au début rencontré des difficultés à s’imposer dans la pratique) pour continuer jusqu’à son imposition à la fin du XIXe siècle avec l’école obligatoire et l’uniformisation de l’instruction.
C’est ainsi que nous avons vu entre autres des mots comme « autrice » « peintresse », « philosophesse », « poétesse » ou encore « médecine » disparaître alors que personne avant cela ne se posait de questions sur la validité de leur existence.
Si ces mots semblent étranges à votre oreille (un prétexte pour beaucoup de détracteurs), c’est tout simplement parce qu’ils ne sont plus d’usage depuis quelques siècles et non pas parce qu’ils sont laids comme certains peuvent l’affirmer, on a au fil du temps déshabitué l’oreille à la présence féminine dans certains milieux.
Saviez-vous que jusqu’au XVIIe siècle on disait :
Contente ? Je la suis ! et non pas je le suis. Il s’agit bien ici d’une espèce d’effacement de la femme.
Est-ce réellement important ?
Ce qui est chagrinant c’est qu’il a fallu à l’Académie française tant d’années pour accepter, semble-t-il, dans la souffrance, une féminisation des noms de métier alors qu’elle a validé la simplification de l’orthographe qui n’est ni plus ni moins un permis de ne pas savoir écrire correctement une langue (parce qu’on [les gouvernements successifs] n’a pas envie de mettre les moyens dans l’éducation). Il s’agit certes ici d’un autre débat, mais je constate juste que le traitement donné aux deux sujets n’est pas du même acabit. Alors peut-être ne faut-il pas y voir une forme de misogynie.
Mais bon, revenons à nos moutons ! À l’époque (en 1691 quand même), des auteurs comme Racine utilisaient la règle de proximité en grammaire (comme avant en latin). Par exemple, l’accord des adjectifs pouvait se faire avec le substantif le plus proche.
C’est ainsi que dans Athalie, il a écrit :
« Surtout, j’ai cru devoir aux larmes et aux prières,
Consacrer ces trois jours et nuits entières. »
C’est plutôt simple et logique en fait. On écrirait donc :
« Que les hommes et les femmes sont bonnes ! » ou « Que les femmes et les hommes sont bons ».
C’est avec des grammairiens comme Vaugelas (un des premiers membres de l’Académie française), Bouhours (aussi prêtre jésuite à ses heures perdues) et Beauzée (autre membre de l’Académie) que la règle de la domination du masculin a été établie (au début pour l’élite : noblesse et gens de lettres).
Pour Vaugelas tout comme pour Bouhour, la forme masculine devait l’emporter sur la féminine parce qu’elle était plus noble. Puis est arrivé ce cher monsieur Beauzée qui dans sa grammaire générale de 1767 est venu éclairer nos lanternes en justifiant cette règle par le fait que « le genre masculin était plus noble que le féminin en raison de la supériorité du mâle sur la femelle. »
Je suis d’accord pour dire qu’il s’agissait d’une autre époque, mais comment expliquer aux générations futures que nous les appliquons encore aujourd’hui en étant plus éclairés sur le fait que cette règle est basée sur une idéologie totalement misogyne ?
Mais bon, aujourd’hui on peut dire qu’ils ont ouvert une porte qu’ils avaient un peu barricadée au fil des siècles (ça a dû leur coûter… oui, il faut rappeler que, lors du vote de la loi de la féminisation des titres, une horde d’académiciens est descendue dans l’arène pour interdire les mots comme autrice, écrivaine, avocate, présidente, chercheure, ingénieure, etc. [qualifiés par eux-mêmes de barbarismes] alors que des métiers comme coiffeuse, assistante, crémière, secrétaire, etc. ne les dérangeaient pas du tout…) alors pour leur « grand effort »…
Les différentes solutions de l’écriture inclusive
Comme je vous l’ai dit plus haut, il existe différentes solutions pour écrire de manière à inclure tout le monde. L’écriture inclusive n’est pas cantonnée à une seule règle, elle laisse libre cours à vos envies et votre imagination. Pour cela vous avez plusieurs moyens de la mettre en place selon vos envies :
1. La féminisation des noms
Il ne s’agit ici que d’un retour historique à l’utilisation qui se faisait depuis le Moyen-âge. En effet, la langue parlée pendant la Renaissance était moins sexiste que celle utilisée aujourd’hui. C’est aussi l’occasion de créer de nouveaux mots et de faire évoluer notre langue (ce qui n’est pas un gros mot).
Il suffit donc d’accorder les noms de métiers, titres, grades avec le sexe de la personne qui l’occupe.
Footballeur→footballeuse, écrivain→écrivaine, auteur→autrice, etc.
On favorise les formules du style : Madame la Cheffe de bureau, Madame la Préfète, Madame la Directrice, Madame la Sénatrice, Madame la Maire (d’aucun·es préférerons le nom « Mairesse »).
Vous pouvez trouver plus de 2000 métiers, titres et grades au masculin et au féminin dans le guide du CNRS de 1999 : Femme, j’écris ton nom…Guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions
2. Les mots épicènes
Le mot épicène est un mot neutre qui correspond aux deux sexes. Sa forme ne varie pas selon le genre. Il existe plusieurs types de mots épicènes.
- Noms communs
→ un enfant amoureux, une enfant amoureuse ; une élève attentive, un élève attentif.
- Nom d’habitants, de peuples, etc.
→ Un guerrier, une guerrière aztèque ; une, un Bulgare ; des agronomes serbes ; de grands Russes, etc.
- Nom de métiers, fonctions et titres
→ Athlète, cadre, diplomate, photographe, cinéaste, gymnaste, pédiatre, archéologue, antiquaire, etc.
Voici un tableau non exhaustif de l’agence Mots-Clés, spécialiste de l’écriture inclusive.
3. Les formules englobantes
On peut dire que les discours présidentiels sont des mines d’or en ce qui concerne les formules englobantes (eh oui, tout le monde a le droit de vote aujourd’hui, ce serait dommage de perdre celui des femmes 😉 ) vous avez tous déjà entendu « Mes cher·es compatriotes »… Il s’agit ici d’une formule englobante, mais pas que puisque vous aurez noté que compatriote est aussi un mot épicène. Les formules englobantes représentent le groupe ou la fonction de manière neutre sans dissociation de sexe.
Quelques exemples :
→ la clientèle, l’équipe, le corps enseignant, le personnel, le secrétariat, l’administration, la rédaction, la direction, etc.
4. Les accords de proximité et de majorité
L’accord de proximité existe en latin et comme je vous l’ai expliqué plus haut avec la citation de Racine, il existait aussi en français. Avec cette règle, on accorde simplement au substantif le plus proche.
Exemple :
→ les garçons et les filles étaient enjouées de leur journée.
L’accord de majorité c’est le fait d’accorder selon la majorité dans le cas où il y a plusieurs substantifs.
Exemple :
→ 5 hommes et 3 femmes fatigués.
→ 8 femmes et 5 hommes fatiguées.
Bien entendu, les personnes travaillant dans les métiers de la traduction, la relecture, la correction se voient obligées d’appliquer les règles de grammaire traditionnelle et ne peuvent pas appliquer d’elles-mêmes les accords de proximité et de majorité sauf sur demande du client. Mais, libre à nous, dans nos écrits personnels, de les appliquer.
5. La double flexion
Nous l’utilisons souvent sans nous en rendre compte.
Vous avez tous et toutes (petite double flexion ni vu ni connu) déjà entendu un discours du président de la république « Chers Français, chères Françaises », alors vous avez compris que la double flexion est le fait d’énoncer les mots au masculin et au féminin.
Pour appliquer la double flexion de manière équitable, il est recommandé d’utiliser l’ordre alphabétique.
– Égalité femmes-hommes,
– Les lycéennes et les lycéens (contraire au singulier : lycéen et lycéenne),
– Les fondateurs et les fondatrices.
Et c’est pour condenser le tout que le point médian entre en scène…
6. Le point médian
Le point médian est LE point sensible de l’écriture inclusive. En effet, dés sa présentation en 2017, il a été beaucoup moqué par ses détracteurs.
Je vous partage cette image que j'ai trouvée sur plusieurs Blogs anti-écriture inclusive dont l'humour m'a quand même bien fait rire.
Ne tombons pas dans la caricature ! Il n’est pas une obligation. Il est même possible d’écrire tout un texte inclusif sans point médian s’il ne nous plaît pas.
L’écriture inclusive est en constante évolution. Elle est étudiée sous toutes les coutures afin de la faire progresser et de la rendre fluide, c’est pourquoi depuis 2019 son utilisation a été simplifiée.
D’après les recommandations de l’agence Mots-Clés, la composition du mot avec le point médian se fait comme suit : mot au masculin (car il est dans la majorité des cas le plus court) + point médian + suffixe féminin. On ajoutera « s », si l’on veut indiquer le pluriel sans ajouter de point médian supplémentaire.
Elle préconise une utilisation raisonnée du point médian. On l’utilise donc uniquement pour les mots dont la formation au féminin se fait avec l’ajout d’un E comme dans étudiant·e ou par un doublement syllabique comme dans citoyen·nne et en ce qui concerne le pluriel (sans point médian supplémentaire) cela donne citoyen·nes.
L’agence Mots-Clés préfère le point médian au tiret et au point ordinaire (qui ont tous les deux des rôles précis dans l’écriture), aux parenthèses (qui dans l’usage sont utilisées pour les propos secondaires) et à la barre oblique (à cause de la connotation de division).
Avec le temps, vous vous rendrez compte que l’inclusion passe parfois simplement par la reformulation.
On pourrait par exemple dire « Avez-vous un abonnement ? » au lieu de « Êtes-vous abonné ? »
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Voilà, voilà pour l’écriture inclusive… J’espère avoir un peu éclairé celles et ceux qui n’arrivent pas à y voir clair dans cet ouragan d’informations, de contre-informations et parfois de désinformation…
L’inclusif c’est un peu comme reconnaître le droit à exister de l’autre et c’est aussi ne pas figer la langue et la laisser vivre avec son temps.
Je vous laisse quelques liens au cas où vous voudriez approfondir la question: